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Par un arrêt du 10 juillet 2025 (n° 24-10.964) publié au Bulletin, la Cour de cassation précise la fin de la période, durant laquelle doivent être évalués les préjudices en cas de rétrocession impossible d’un bien exproprié, qui est constituée par la date de la décision reconnaissant définitivement le droit de rétrocession. 

Tout d’abord, il y a lieu de rappeler que l’expropriation d’un immeuble n’est possible que si elle est justifiée par une nécessité publique légalement constatée (article 17 de la DDHC) ou, autrement dit, « qu’à la condition qu’elle réponde à une utilité publique préalablement et formellement constatée à la suite d’une enquête » (article L. 1 du code de l’expropriation).

Aussi, les biens expropriés doivent être affectés en vue de réaliser l’opération d’utilité publique dans un délai de cinq ans à compter de l’ordonnance d’expropriation.

A défaut, l’article L. 421-1 du code de l’expropriation prévoit que : « Si les immeubles expropriés n’ont pas reçu, dans le délai de cinq ans à compter de l’ordonnance d’expropriation, la destination prévue ou ont cessé de recevoir cette destination, les anciens propriétaires ou leurs ayants droit à titre universel peuvent en demander la rétrocession pendant un délai de trente ans à compter de l’ordonnance d’expropriation, à moins que ne soit requise une nouvelle déclaration d’utilité publique ».

En cas de rétrocession possible, l’article L. 421-3 du code de l’expropriation impose que « A peine de déchéance, le contrat de rachat est signé et le prix payé dans le mois de sa fixation, soit à l’amiable, soit par décision de justice », cette disposition ayant été jugée conforme à la constitution sous réserve que la sanction prévue ne soit pas prononcée si le non-respect du délai d’un mois n’est pas imputable à son bénéficiaire (CC, 22 novembre 2024, QPC n°2024-1112)

En revanche, lorsque la rétrocession du bien exproprié est impossible, l’exproprié a droit à des dommages et intérêts pour réparer le préjudice subi du fait de cette impossibilité ce que rappelle l’arrêt commenté en son attendu n° 6 qui s’inscrit dans une jurisprudence constante (3e Civ., 17 novembre 1993, n° 90-18.954 ; 3e Civ, 22 novembre 2006, n° 06-11.311) et ce que prévoit également l’article R. 223-6 du code de l’expropriation, en cas de restitution d’un bien exproprié liée à la perte de base légale de l’ordonnance de transfert de propriété. 

En l’espèce, le litige portait précisément sur les dates d’évaluation à prendre en compte pour déterminer le montant des dommages et intérêts au titre de la perte de plus-value ainsi qu’au titre de la perte de jouissance d’un bien exproprié qui n’a pas reçu la destination prévue, cinq ans après l’ordonnance d’expropriation.

En effet, un ancien propriétaire a formé un pourvoi contre l’arrêt d’une cour d’appel qui avait déterminé ces indemnités sur une période courant de la date à laquelle la juridiction a été saisie par assignation d’une demande de rétrocession jusqu’au jour du jugement reconnaissant définitivement le droit de rétrocession.

L’ancien propriétaire estimait, au contraire, « que c’est à la date à laquelle il statue que le juge doit évaluer le dommage dont la réparation lui est demandée« , de sorte que l’arrêt de la Cour d’appel méconnaissait, selon lui, le principe de réparation intégrale du préjudice, les dispositions des articles L. 421-1 et R. 223-6 du code de l’expropriation, ainsi que les stipulations de l’article 1er du Protocole additionnel n°1 à la CEDH.

Cependant, la Cour de cassation écarte le moyen de l’ancien propriétaire et rejette son pourvoi en rappelant expressément que:

« – la rétrocession n’étant qu’une faculté, sans incidence sur la régularité de l’expropriation, le point de départ de la période préjudicielle est, non pas la date à laquelle le bien a été exproprié, mais celle de l’assignation aux fins de rétrocession, qui constitue la mise en demeure de l’autorité expropriante de restituer son bien à l’exproprié (3e Civ., 17 juillet 1997, pourvoi n° 95-17.530, publié) ;

– la rétrocession, lorsqu’elle est possible, supposant le rachat par l’exproprié de son bien à sa valeur résultant de sa qualification à la date à laquelle le droit de rétrocession a été définitivement reconnu, cette date constitue, lorsque la rétrocession est impossible, le terme de la période préjudicielle ».

Il y a lieu de relever que la Cour de cassation (cf. arrêt cité en citation) ainsi que les cours d’appel admettaient déjà que le point de départ de la période dite préjudicielle était constitué par l’assignation constitutive de la mise en demeure de l’expropriant de procéder à la rétrocession (CA Grenoble, 19 mai 2009 ; CA Paris, 10 septembre 2009).
Le véritable apport de l’arrêt commenté porte donc sur la précision de la fin de cette période d’évaluation des préjudices, en cas de rétrocession impossible, qui est donc constituée par le jugement ou l’arrêt reconnaissant définitivement le droit de rétrocession.
 
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