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Par un arrêt du 10 juillet 2025 (n° 24-10.402), la Cour de cassation ouvre la voie électronique (RPVA) à la notification des conclusions par les Parties en appel.
L’état de la jurisprudence avant la réforme de la représentation obligatoire en expropriation
Avant la représentation par avocat devenue obligatoire en matière d’expropriation depuis le 1er janvier 2020, la Cour de cassation considérait que :
– l’irrespect des formes de notification requises par l’article R. 311-26 précité devait être interprété, non pas comme un vice de forme, mais comme un défaut de production des conclusions (C.Cass., Civ. 2ème, 24 septembre 2015, n° 13-28017, publié au Bulletin);

– seuls les actes de procédure, à l’instar de la déclaration d’appel ou de l’acte de constitution, pouvaient être transmis via le RPVA (cf. C.Cass., Civ. 2ème, 10 novembre 2016, 14-25.631, publié au bulletin), contrairement aux conclusions de l’appelant ou de l’intimé qui devaient impérativement être déposées au greffe ou notifiées par lettre recommandée avec accusé de réception conformément à l’article R. 311-26 du code de l’expropriation (cf. C.Cass., Civ. 3ème, 23 septembre 2020, n°19-16.092 arrêt rendu pour une procédure antérieure à la représentation obligatoire).

Un maintien contesté de l’état jurisprudentiel par les cours d’appel, depuis la représentation obligatoire

Depuis le 1er janvier 2020, les décisions précitées faisaient débat parmi certains praticiens et les juridictions d’appel partagées entre :

– le régime procédural spécifique de notification des mémoires en matière d’expropriation, fixé par l’article R. 311-26 du code de l’expropriation (notification des conclusions en appel) et l’article R. 311-30 du même code (notification générale), non modifiés par le décret du 11 décembre 2019 ;

– et les articles 748-1 et 930-1 du code de procédure civile, imposant la notification des écritures par RPVA pour toute procédure avec représentation obligatoire.

La majorité des Cours d’appel excluait la notification des conclusions, tant d’appelant que d’intimé, par RPVA pour différents motifs :

– la Cour d’appel de Poitiers estimait ainsi que l’article R. 311-26 du code de l’expropriation implique « nécessairement que l’appelant adresse matériellement au greffe ses conclusions et les documents qu’il entend produire, en tirage sur papier, afin qu’ils puissent être notifiés par le greffe, l’exemplaire surnuméraire étant destiné à la cour. Les termes de l’article R.311-26 du code de l’expropriation sont demeurés inchangés depuis l’entrée en vigueur du décret nº2019-1333 du 11 décembre 2019 qui a modifié l’article R.311-27 du code de l’expropriation pour rendre désormais obligatoire la représentation par avocat devant la cour d’appel statuant en matière d’expropriation, et l’exigence qu’il édicte d’adresser au greffe de la cour d’appel, afin que celui-ci les notifie, les conclusions et les documents, reste donc requise. Les termes, généraux, de l’article 930-1 du code de procédure civile, ne dérogent pas à ce texte spécial » (CA Poitiers, 15 mars 2022, RG nº 21/00004);

– la Cour d’appel de Versailles considérait qu’il se déduisait de l’article R. 311-26 « qu’il incombe à l’appelant de remettre au greffe de la cour les exemplaires de ses conclusions et de ses documents qui seront ensuite notifiés à chaque partie à l’instance, et non au greffe d’imprimer lesdits exemplaires à partir d’un fichier électronique envoyé par l’appelant » et que, « De plus, d’une part, l’article 930-1 du code de procédure civile est applicable seulement dans le cadre de la procédure avec représentation obligatoire, alors qu’en matière d’expropriation l’État, les régions, les communes et leurs établissements publics peuvent se faire assister ou représenter par un fonctionnaire ou un agent de leur administration ; d’autre part, il résulte du premier alinéa de cet article que seuls les actes de procédure destinés à la cour doivent être remis à celle-ci par voie électronique ; dès lors cette voie ne peut être utilisée ni pour le dépôt des exemplaires des conclusions destinés aux parties ni pour les documents produits au soutien de ces conclusions, lesquels ne constituent pas des actes de procédure »  (CA Versailles, 29 novembre 2022, RG nº 22/05518);

– La Cour d’appel d’Aix-en-Provence constatait que « le recours au RPVA ne peut être reconnu comme répondant au formalisme résultant des dispositions du code de l’expropriation qui instaure une procédure exorbitante du droit commun. La dématérialisation qui découle de l’utilisation de la voie électronique empêche en effet le greffier de disposer des conclusions et des documents en autant d’exemplaires qu’il y a de parties et de les notifier à chaque intéressé. En outre, le RPVA n’est accessible qu’aux avocats et ne peut donc être consulté par le commissaire du gouvernement » (CA Aix-en-Provence, 3 juin 2021, RG n° 19/00064).

A l’inverse, certaines cours d’appel ont pu admettre la recevabilité des conclusions notifiées par RPVA et la Cour d’appel de Paris avait déjà pris le parti de déclarer recevables des conclusions complémentaires notifiées exclusivement par RPVA par un arrêt en date du 20 mai 2021 (n°20/04460).

La voie électronique ouverte pour la notification des conclusions 

Dans ce contexte, la Cour de Cassation a été conduite à se prononcer sur l’usage du RPVA en matière d’expropriation en tenant compte de la représentation obligatoire imposée depuis le 1er janvier 2020.

En effet, saisie par une autorité expropriante qui reprochait à la Cour d’appel de Bordeaux d’avoir déclaré recevable le mémoire de la partie intimée en retenant que le délai qui lui était imparti pour conclure ne courait qu’à compter de la notification par le greffe du mémoire de l’appelant, et non de la notification des conclusions de l’appelant par RPVA à l’avocat constitué par l’intimé, la Cour de cassation a :

– confronté les articles R. 311-26 du code de l’expropriation et 748-1 du code de procédure civile,

– constaté qu’aucune disposition du code de l’expropriation n’exclut, devant la cour d’appel, la faculté pour les parties d’effectuer par voie électronique l’envoi, la remise et la notification des actes de procédure, instituée par le code de procédure civile,

– rappelé que « l’article 2 de l’arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d’appel, qui a abrogé l’arrêté du 5 mai 2010 précité, autorise désormais, par renvoi à l’article 748-1 du code de procédure civile, les envois, remises et notifications par voie électronique entre avocats, ou entre un avocat et la juridiction, dans le cadre d’une procédure avec ou sans représentation obligatoire devant la cour d’appel ».

Au regard de ce qui précède, la troisième chambre civile en déduit que « les notifications et dépôts visés à l’article R. 311-26, qu’il s’agisse de la notification des conclusions ou documents des parties entre elles, au greffe ou par le greffe, peuvent désormais être faits par voie électronique, sans préjudice du maintien de l’usage du support papier par le greffe s’agissant des notifications faites au commissaire du gouvernement ou de celles auxquelles celui-ci procède ».

Ainsi, le délai de trois mois dans lequel l’intimé doit conclure ou former un appel incident, prévu à l’article R. 311-26 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, court à compter de la première notification valable des conclusions de l’appelant faite par le greffe ou l’appelant lui-même, le cas échéant par voie électronique.

La portée de cet arrêt 

Cette position jurisprudentielle :

– assouplit la lecture d’une règle de procédure (qui n’a pas été appliquée de facto à l’expropriée, qui ne pouvait pas raisonnablement anticiper ce revirement de jurisprudence, de sorte que la cassation de l’arrêt entrepris n’a pas été prononcée pour ce motif) « dans la perspective d’un alignement de la procédure d’appel en matière d’expropriation sur le droit commun » comme le suggérait l’avocat général dans son avis.

– vise exclusivement les échanges entre les parties (appelants et intimés) ayant constitué avocat via RPVA : en effet, rappelons que le deuxième alinéa de l’article R. 311-9 du code de l’expropriation précise que si « Les parties sont tenues de constituer avocat. L’Etat, les régions, les départements, les communes et leurs établissements publics peuvent se faire assister ou représenter par un fonctionnaire ou un agent de leur administration« .

– laisse au greffe la charge du respect du contradictoire et la notification des écritures et pièces transmises par RPVA aux commissaires de gouvernements ou aux des personnes publiques qui décideraient de ne pas constituer avocat. Ces parties n’ont, en effet, d’autre choix que d’établir leurs actes sur support papier et de les adresser au greffe en autant d’exemplaires que de parties, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, conformément à l’article R.311-30 du code de l’expropriation qu’il n’apparait pas inutile de retranscrire ici :

« La notification des jugements et arrêts aux parties et au commissaire du Gouvernement se fait conformément aux dispositions des articles 675 à 682 du code de procédure civile.

Les autres notifications prévues par le présent livre (LIVRE III : INDEMNISATION (Articles R311-1 à R323-14) sont faites par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par voie de signification. »

Si cet arrêt a le mérite de simplifier, en apparence, la procédure d’appel en matière d’expropriation en l’alignant sur la procédure de droit commun, la Cour de cassation semble néanmoins se substituer au législateur alors que des contradictions entre les dispositions du Code de procédure civile et du code de l’expropriation demeurent de sorte que son intervention apparait nécessaire.
 
 
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