Par un arrêt en date du 16 janvier 2025 (pourvoi n° 23-20.925), la Cour de cassation, sous le visa de l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, opère un revirement de jurisprudence en jugeant que la production tardive des pièces en appel n’emporte plus la caducité de l’appel, mais uniquement l’irrecevabilité des pièces produites.
Dans les faits de l’arrêt commenté, les propriétaires avaient, en cause d’appel, transmis au greffe de la Cour d’appel les pièces visées dans ses conclusions sur lesquelles ils fondaient leurs prétentions qu’après l’expiration du délai de trois mois prévu à l’article R. 311-26 du code de l’expropriation.
Rappelons, en effet, que le premier alinéa de ces dispositions prévoient que « A peine de caducité de la déclaration d’appel, relevée d’office, l’appelant dépose ou adresse au greffe de la cour ses conclusions et les documents qu’il entend produire dans un délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel ».
Jusqu’au présent arrêt, la Cour de cassation estimait alors que l’appelant qui dépose les pièces produites au soutien de son mémoire après l’expiration du délai prévu pour conclure, était déchu de son appel (3e Civ., 29 février 2012, pourvoi n° 10-27.346, publié), y compris lorsque celles-ci étaient identiques à celles produites en première instance (3e Civ., 15 juin 2017, pourvoi n° 16-50.039, publié ; 3e Civ., 27 avril 2017, pourvoi n° 16-11.078, publié).
Au soutien de leur pourvoi, les propriétaires faisaient valoir qu’une telle sanction était disproportionnée au but poursuivi, à savoir le respect des droits de la défense et de célérité de la procédure, notamment au regard de l’article 6§1 de la CEDH.
A cet égard, la Cour de cassation relève que, selon la Cour européenne des droits de l’homme :
- le droit d’accès à un tribunal doit être « concret et effectif » et non « théorique et illusoire » (Bellet c. France, 4 décembre 1995, § 36, série A n° 333-B).
- Si ce droit n’est pas absolu et peut donner lieu à des limitations, celles-ci ne sauraient restreindre l’accès au juge d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, elles ne se concilient avec l’article 6, § 1, que si elles poursuivent un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Zubac c. Croatie [GC], n° 40160/12, § 78, 5 avril 2018).
De ces considérations juridiques, la Cour de cassation en tire la conclusion que « si l’obligation de communication simultanée des conclusions et des pièces dans le délai de trois mois de la déclaration d’appel poursuit l’objectif d’intérêt général de célérité de la procédure d’appel en matière d’expropriation, la sanction de caducité de la déclaration d’appel qui s’attache à la production tardive de pièces lorsque les conclusions ont été communiquées dans le délai ne s’inscrit pas dans un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ».
Par conséquent, elle considère désormais qu’il doit être jugé que la caducité de la déclaration d’appel n’est encourue que lorsque l’appelant n’a pas conclu dans le délai prévu par l’article R. 311-26 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, le défaut de communication des pièces dans ce délai n’étant sanctionné que par leur irrecevabilité lorsque le juge estime qu’elles n’ont pas été communiquées en temps utile.
Elle ajoute enfin que « les mêmes considérations conduisent à énoncer que l’irrecevabilité des conclusions de l’intimé n’est encourue que lorsque celui-ci n’a pas conclu dans le délai prévu par le même texte, la communication tardive des pièces n’étant sanctionnée que par leur irrecevabilité lorsque le juge estime qu’elles n’ont pas été communiquées en temps utile ».
Dès lors que ces nouvelles règles de procédure garantissent l’accès au juge, elles sont d’application immédiate et sont, ainsi, opposables aux instances en cours.
Cette solution jurisprudentielle, eu égard à sa portée, est susceptible de s’étendre à l’ensemble des contentieux civils.
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