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Les chemins procéduraux en matière d’expropriation sont semés d’embuches. En illustre l’arrêt, publié au Bulletin, de la Cour de cassation rendu le 22 juin 2023 (n° 22-17.476) dont la lecture laisse penser que le mémoire d’un exproprié produit en méconnaissance du délai de six semaines suivant la saisine de la juridiction de l’expropriation, tel que le prévoit l’article R. 311-11 du code de l’expropriation, serait irrecevable.

Dans cette affaire, faute d’accord amiable avec la partie expropriée, l’autorité expropriante a saisi un juge de l’expropriation territorialement incompétent aux fins de faire fixer judiciairement l’indemnité d’expropriation.

Le dossier a été transféré à la juridiction compétente, sans pour autant que le greffe de celle-ci n’adresse aux parties l’avis prévu par l’article 82 du code de procédure civile les invitant à poursuivre l’instance devant lui.

Le jour de l’audience, alors que la partie expropriée n’avait produit aucun mémoire en réponse, le juge de l’expropriation refusa de renvoyer l’examen du dossier à une audience ultérieure dès lors qu’aucun mémoire en réponse n’avait été produit dans le délai de six semaines suivant la notification du mémoire du demandeur (article R. 311-11 précité).

L’exproprié interjette appel du jugement, mais la Cour d’appel le confirme, conduisant l’appelant à former un pourvoi en cassation.

La partie expropriée relevait notamment devant la Cour de cassation que :

  • le défaut de transmission de l’avis prévu par l’article 82 du code de procédure civile ne lui avait pas permis d’avoir été informé en temps utile de la poursuite effective de l’instance devant le juge de l’expropriation de Moulins et que, par suite, il n’avait pas été mis en mesure d’organiser sa défense, de sorte qu’était méconnu le principe du contradictoire ;
  • la saisine d’un juge de l’expropriation territorialement incompétent n’avait pas eu pour effet de faire courir le délai de six semaines précité.

La Cour de cassation rejette toutefois le pourvoi en répondant que « Le délai de six semaines imparti au défendeur pour notifier au demandeur son mémoire en réponse, prévu à l’article R. 311-11 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, commence à courir dès la notification du mémoire du demandeur même lorsque la juridiction saisie par celui-ci est incompétente, dès lors qu’en cas de renvoi devant une autre juridiction de l’expropriation, l’instance régulièrement engagée devant la juridiction initialement saisie se poursuit en l’état devant la juridiction de renvoi, sans suspension ou interruption de l’instance ».

Une décision – en apparence – stricte pour la partie expropriée

Par cette décision, on pourrait ainsi considérer qu’un juge de l’expropriation peut régulièrement écarter le mémoire d’un exproprié qui n’aurait pas été produit dans le délai de six semaines suivant la notification du mémoire de l’autorité expropriante.

Une telle analyse paraît particulièrement sévère dans la mesure où, en ne répondant pas dans le délai de six semaines imparti, un exproprié ne pourrait plus faire valoir des prétentions indemnitaires en cause d’appel, puisque celles-ci seraient considérées comme nouvelles et, partant, irrecevables (articles 564 et suivants du code de procédure civile ; cf. Cour d’appel de Riom, 29 mars 2022)

D’apparence sévère, cette analyse pourrait se justifier par le fait que :

  • les dispositions du code de l’expropriation ont été rédigées avec l’idée d’une certaine célérité de la procédure ; cette solution sanctionnerait ainsi un exproprié qui tenterait de retarder, par des manœuvres dilatoires, l’intervention du jugement de première instance et, partant, faire obstacle à la prise de possession (voir étape 4 de la phase judiciaire) ;
  • les dispositions de l’article R. 311-11 du code de l’expropriation, prévoyant ce délai de six semaines, doivent être reproduites en caractères apparents lors de la notification du mémoire (R. 311-10 du code de l’expropriation) ;
  • la représentation par avocat est devenue obligatoire en matière d’expropriation depuis le 1er janvier 2020, de sorte qu’un auxiliaire de justice compétent en la matière doit nécessairement avoir connaissance de ce délai.

Une portée à relativiser

Toutefois, il reste permis de douter sur la réelle portée de l’arrêt rendu par la Cour de cassation dès lors que :

  • l’article R. 311-11 du code de l’expropriation n’attache aucune sanction au non-respect du délai de six semaines, contrairement à d’autres dispositions du code de l’expropriation (par exemple, les conclusions du Commissaire du gouvernement doivent être produites, à peine d’irrecevabilité, au moins huit jours avant le transport sur les lieux; article R. 311-16 du code de l’expropriation) ;
  • dans un arrêt du 5 octobre 2004, la Cour de cassation avait déjà cassé et annulé un arrêt de la Cour d’appel qui avait confirmé un jugement de première instance ayant écarté des débats, pour tardiveté,  le mémoire d’un exproprié déposé le jour de l’audience, sans établir que ce dernier avait disposé d’un temps suffisant pour répondre au mémoire complémentaire du commissaire du gouvernement, en méconnaissance de l’article 16 du code de procédure civile (relatif au principe du contradictoire).
  • le délai de six semaines ne permet pas de répondre aux conclusions du Commissaire du gouvernement alors que, en pratique, celles-ci sont déterminantes dans le cadre de ce type de litige.

Il n’est donc pas certain que les juges du fond des juridictions d’expropriation s’appuient sur cet arrêt pour écarter systématiquement un mémoire en réponse produit au-delà du délai de six semaines, mais il est possible que ces derniers sanctionnent des manœuvres dilatoires de la partie expropriée.