Alors que le titulaire du droit de préemption urbain a la possibilité de demander une visite du bien ou des documents complémentaires ce qui a pour effet de suspendre les délais pour préempter, cette faculté paraît inapplicable pour le titulaire du droit de préemption en espaces naturels sensibles, au détriment de son droit à l’information.
La demande de visite et la demande de communication de documents : un droit à l’information protecteur des intérêts du titulaire du droit de préemption
Tout d’abord, il convient de rappeler que le code de l’urbanisme permet au titulaire du droit de préemption urbain de demander, dans le délai de deux mois suivant la réception d’une déclaration d’intention d’aliéner, une visite du bien et la communication de documents limitativement énumérés (ces demandes pouvant être conjointes et simultanées).
Ces demandes sont strictement encadrées par le code de l’urbanisme (voir ici) et ont pour effet de suspendre le délai imparti au titulaire du droit de préemption pour exercer son droit.
Cette faculté a été introduite par la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové et a été complétée par des décrets d’applications.
Le législateur a ainsi consacré un véritable droit à l’information de l’acquéreur dans le cadre d’une procédure de préemption, notamment en réaction à une jurisprudence de la Cour de cassation.
En effet, celle-ci avait estimé qu’aucune obligation d’information relative à la présence de pollution sur un terrain ne pesait à l’égard du vendeur dans le cadre de l’exercice du droit de préemption de sorte qu’une commune ne pouvait se prévaloir d’une réticence dolosive, ni de l’existence d’un vice caché en raison de la présence de pollution d’un terrain préempté alors que cette présence avait une conséquence importante sur la valeur vénale du bien (3ème Civ. 7 novembre 2012, pourvoi n° 11-22907).
Si le titulaire du droit de préemption urbain dispose donc d’outils pour apprécier précisément la consistance et la valeur vénale d’un bien, tel ne semble pas être le cas lorsque ce droit est exercé en matière d’espaces naturels sensibles.
Quel droit à l’information pour le titulaire du droit de préemption en espaces naturels sensibles?
Le droit de préemption peut être exercé dans les espaces naturels sensibles, soit afin de les préserver et de les entretenir, soit afin de les aménager en vue d’une ouverture au public, sauf à justifier d’une fragilité du milieu ou des raisons de sécurité (L. 215-21 du code de l’urbanisme).
Toutefois, dans le cadre de ce droit, son titulaire ne dispose pas des outils prévus pour le droit de préemption urbain permettant d’obtenir une meilleure information sur la consistance du bien dont l’acquisition est envisagée.
En premier lieu, aucune des dispositions applicables au droit de préemption dans les espaces naturels sensibles n’ouvre la faculté à son titulaire de formuler une demande unique de communication de documents.
Comme rappelé précédemment, cette demande unique de communication de documents est seulement prévue en matière de droit de préemption urbain ou en ZAD (articles L. 213-2 et R. 213-7 du code de l’urbanisme).
Par ailleurs, ni la jurisprudence ni la doctrine n’évoquent cette faculté en matière de préemption dans les espaces naturels sensibles.
Par conséquent, s’il est loisible au titulaire du droit de préemption de formuler une demande de communication de documents, le vendeur n’aura aucune obligation d’y répondre favorablement, mais surtout cette demande n’aura pas pour effet de suspendre les délais pour exercer le droit de préemption au titre des espaces naturels sensibles.
En second lieu, contrairement à la demande de documents, le code de l’urbanisme prévoit la possibilité pour le titulaire du droit de préemption au titre des espaces naturels sensibles de demander à visiter le bien.
Cette demande est en effet prévue au dernier alinéa de l’article L. 215-14 du code de l’urbanisme : « Le titulaire du droit de préemption peut demander à visiter le bien dans des conditions fixées par décret ».
Cet alinéa a été ajouté par l’article 234 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets et renvoie à « des conditions fixées par décret ».
Or, à ce jour, aucun décret précisant les conditions de mise en œuvre de la demande de visite en matière de préemption en espaces naturels sensibles n’a été édicté.
On pourrait supposer que les dispositions des articles D. 213-13-1 et suivants du code de l’urbanisme sont transposables et applicables au droit de préemption en espaces naturels sensibles.
Toutefois, les dispositions précitées ont été introduites dans le code de l’urbanisme par le décret n° 2014-1573 du 22 décembre 2014 fixant les conditions de la visite du bien par le titulaire du droit de préemption en application de l’article L. 213-2 du code de l’urbanisme, c’est-à-dire au droit de préemption urbain, aux zones d’aménagement différé et aux périmètres provisoires.
De plus, contrairement aux dispositions de l’article L. 213-2 qui prévoit expressément que la demande de visite a pour effet de suspendre le délai pour exercer le droit de préemption, cela n’est pas le cas de l’article L. 215-14 du code de l’urbanisme (applicable au droit de préemption en matière d’espaces naturels sensibles) qui ne prévoit pas une telle suspension.
Les juridictions administratives n’ont pas encore été conduites à juger si la demande de visite formulée dans le cadre d’une préemption en espaces naturels sensibles avait bien un effet suspensif.
Dès lors, il existe une véritable incertitude juridique pesant sur le titulaire du droit de préemption au titre des espaces naturels sensibles.
Ces insuffisances législatives et règlementaires apparaissent donc particulièrement problématiques en ce que l’impossibilité d’apprécier correctement la consistance d’un bien risque d’avoir des conséquences importantes sur les conditions d’exercice du droit de préemption et sur la bonne utilisation des deniers publics.
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