Skip to main content

Dans un arrêt du 23 novembre 2023 (n° 22-20.866) publié au bulletin, la Cour de cassation précise que « le preneur, qui bénéficie des règles applicables en matière d’expropriation, a droit à l’indemnisation des constructions édifiées par lui sur le bien, même en présence d’une clause de nivellement applicable en fin de bail, dès lors qu’à la date de l’éviction anticipée définitive du preneur en raison de travaux d’aménagement faisant suite à une préemption mettant fin prématurément au bail, celui-ci était propriétaire de ces constructions ».

Dans ce dossier soumis à la Cour de cassation, le titulaire du droit de préemption faisait grief à l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris d’avoir fixé une indemnité pour couvrir le préjudice résultant de la perte de l’immeuble alors que :

1) Le bail à construction comportait une clause de nivellement prévoyant que les constructions édifiées par le preneur seront détruites ou reviendront au bailleur en fin de bail ;

2) La Cour d’appel avait octroyé une indemnité principale, en prenant en compte la perte d’un droit temporaire de propriété sur l’immeuble, à l’exclusion du terrain ainsi qu’une autre indemnité correspondant à la valeur de l’immeuble, minorée de la valeur du terrain, de sorte qu’il aurait été procéder à une double indemnisation ;

3) Une indemnité correspondant à la valeur de l’immeuble, minorée de la valeur du terrain, réparait le préjudice né de la perte d’une propriété définitive alors qu’il résultait des constatations de la Cour d’appel que le droit des preneurs évincés sur l’immeuble était temporaire, eu égard à la clause de nivellement.

En d’autres termes, la Cour de cassation était conduite à s’interroger sur l’indemnisation du preneur de la valeur vénale de l’immeuble alors que celui-ci ne lui appartenait que temporairement – en raison d’une clause de nivellement faisant revenir la propriété de l’immeuble au bailleur en fin de bail – et étant précisé que le preneur était déjà indemnisé la perte d’un droit temporaire de propriété sur l’immeuble.

Pour répondre à ce cas d’espèce, la Cour de cassation rappelle :

  • sa jurisprudence selon laquelle le preneur restant propriétaire, pendant la durée de la location, des constructions qu’il a régulièrement édifiées sur le terrain loué, la résiliation anticipée du bail du fait de l’expropriation ne le prive pas de son droit à indemnité pour ces constructions (3e Civ., 5 janvier 2012, n° 10-26.965, Bull. 2012, III, n° 3).


Ensuite, dans le cadre d’une opération de préemption, et pour établir le lien de causalité entre celle-ci et la perte des constructions dont le preneur est propriétaire, la Cour de cassation invite les juges du fond à se placer à la date de l’éviction anticipée définitive du preneur en raison de travaux d’aménagement faisant suite à une préemption mettant fin prématurément au bail.

A cette date, la Cour de cassation constate que :

  • Le preneur était propriétaire des constructions ;
  • La clause de nivellement, applicable uniquement à la fin du bail, n’avait pas vocation à recevoir application, puisque l’éviction anticipée du locataire avait pour cause la démolition des constructions après une décision de préemption à une date à laquelle les locataires étaient propriétaires de ces constructions

Dans ces conditions, la juridiction suprême de l’ordre judiciaire considère que le preneur est fondé à solliciter une indemnisation comprenant, outre la valeur du droit au bail, celle des constructions édifiées sur le bien préempté.

Cette solution s’inscrit dans la logique jurisprudentielle de la Cour de cassation au sujet de l’indemnisation des biens grevés d’un bail de longue durée, tel un bail à construction ou un bail emphytéotique.

Il est en effet de jurisprudence constante que l’existence d’un bail à construction implique une répartition de l’indemnité entre le preneur et le bailleur, compte de l’existence de droits concurrents sur les constructions réalisées dans le cadre du bail sur le bien (3e Civ., 31 mars 2004, Bull. III, n° 66 p. 62, publié au bulletin).

Cette logique est identique dans le cadre d’un bail emphytéotique où la Cour de cassation a réaffirmé, dans le cadre d’une expropriation, le droit à indemnité du preneur d’un bail emphytéotique (3e Civ., 28 janvier 2021, pourvoi n° 19-21089, publié au Bulletin ; voir également : CA Bourges, 20 décembre 2007, RG n° 06/0001 ; CA Poitiers, 28 mai 2010, RG n° 09/00005), même si les constructions édifiées reviendront au bailleur, de sorte que deux droits à indemnité concurrents coexistent : celui du preneur et celui du bailleur.

Les modalités de l’indemnisation tiendront compte de ces droits concurrents, notamment en appliquant des abattements qui peuvent aller jusqu’à 65 % pour l’indemnité devant revenir au bailleur, propriétaire du terrain grevé d’un bail longue durée (voir en ce sens : CA Versailles 10 mars 2020, RG n° 18/08798)

Notons enfin que plusieurs méthodes existent pour indemniser les biens grevés de baux longue durée mais, en tout état de cause, comme le rappelle l’arrêt commenté :

  • « le juge de l’expropriation choisit souverainement la méthode d’évaluation de l’indemnité de dépossession » ;
  • Par conséquent, la cour d’appel n’avait pas à répondre au moyen inopérant des locataires évincés invoquant l’application de l’article 555 du code civil, pour la prise en compte, dans l’indemnité leur étant due au titre de la perte des constructions par eux édifiées, du coût des matériaux et de la main d’œuvre, à défaut d’option par le titulaire du droit de préemption entre les méthodes d’évaluation définies par ce texte