Par une décision n° 2024-1112 QPC du 22 novembre 2024, le Conseil constitutionnel déclare conformes aux exigences constitutionnelles résultant de l’article 17 de la Déclaration de 1789 les dispositions de l’article L. 421-3 du code de l’expropriation , avec une réserve d’interprétation.
Tout d’abord, il sera rappelé que :
– selon l’article L. 421-1 du code de l’expropriation : « Si les immeubles expropriés n’ont pas reçu, dans le délai de cinq ans à compter de l’ordonnance d’expropriation, la destination prévue ou ont cessé de recevoir cette destination, les anciens propriétaires ou leurs ayants droit à titre universel peuvent en demander la rétrocession pendant un délai de trente ans à compter de l’ordonnance d’expropriation, à moins que ne soit requise une nouvelle déclaration d’utilité publique »
– aux termes de l’article L. 421-3 du même code : « A peine de déchéance, le contrat de rachat est signé et le prix payé dans le mois de sa fixation, soit à l’amiable, soit par décision de justice ».
Par une ordonnance du juge de la mise en état du 3 juin 2024, le tribunal judiciaire de Thionville avait transmis à la Cour de cassation une question prioritaire de constitutionnalité sur la conformité de l’article L. 421-3 précité aux dispositions constitutionnelles, rédigée comme suit :
« L’article L. 421-3 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique porte t-il atteinte aux droits et libertés garantis par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du Citoyen de 1789 ainsi que par l’article 1 du protocole n° 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ? »
Par un arrêt du 5 septembre 2024 (n° 24-40.013), après avoir rappelé l’irrecevabilité de la question posée quant à la conformité des dispositions au droit conventionnel, la Cour de cassation avait toutefois considéré que sa conformité aux exigences constitutionnelles présentait un caractère sérieux aux motifs que :
13. En effet, selon l’article L. 421-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, si les immeubles expropriés n’ont pas reçu, dans le délai de cinq ans à compter de l’ordonnance d’expropriation, la destination prévue ou ont cessé de recevoir cette destination, les anciens propriétaires peuvent en demander la rétrocession pendant un délai de trente ans à compter de l’ordonnance d’expropriation, à moins que ne soit requise une nouvelle déclaration d’utilité publique.
14. En instaurant le droit de rétrocession, le législateur a entendu renforcer les garanties légales assurant le respect du droit de propriété et de l’exigence constitutionnelle selon laquelle l’expropriation d’immeubles ou de droits réels immobiliers ne peut être ordonnée que pour la réalisation d’une opération dont l’utilité publique a été légalement constatée (Cons. const., 15 février 2013, décision n° 2012-292 QPC).
15. En premier lieu, la disposition contestée, en ce qu’elle sanctionne par la déchéance du droit de rétrocession l’absence de signature de l’acte de vente et de paiement du prix dans le délai d’un mois à compter de la fixation amiable ou judiciaire du prix, nonobstant l’accomplissement à cette fin de diligences par le titulaire du droit de rétrocession ou une éventuelle inertie de l’autorité expropriante, est susceptible de priver d’effectivité l’exercice du droit de rétrocession et, ainsi, de porter atteinte au droit de propriété.
16. En second lieu, cette atteinte pourrait être considérée comme disproportionnée, dès lors que le délai d’un mois paraît incompatible avec les délais usuels d’établissement d’un acte authentique et, lorsque le bénéficiaire du droit de rétrocession est tenu de recourir à un financement, de souscription d’un prêt bancaire« .
Le Conseil constitutionnel juge l’article L. 421-3 du code de l’expropriation conforme à l’article 17 de la DDHC aux termes de la motivation suivante :
6. En instaurant le droit de rétrocession, le législateur a entendu renforcer les garanties légales assurant le respect de l’exigence constitutionnelle de l’article 17 de la Déclaration de 1789 selon laquelle l’expropriation d’immeubles ou de droits réels immobiliers ne peut être ordonnée que pour la réalisation d’une opération dont l’utilité publique a été légalement constatée.
7. D’une part, en imposant un délai d’un mois, à peine de déchéance, pour la signature du contrat de rachat ainsi que pour le paiement du prix, le législateur a entendu encadrer l’exercice du droit de rétrocession afin de prévenir l’inaction de son titulaire.
8. D’autre part, ce délai court, une fois que l’intéressé a fait valoir son droit de rétrocession, à compter de la fixation du prix. Or, cette dernière n’intervient qu’après que les parties se sont accordées à l’amiable sur ce prix ou, à défaut d’accord, qu’à la suite d’une décision de justice. Les dispositions contestées ne font ainsi pas obstacle, par elles-mêmes, à l’exercice du droit de rétrocession par l’ancien propriétaire ou ses ayants droit.
9. Toutefois, ces dispositions ne sauraient, sans méconnaître les exigences constitutionnelles précitées, être interprétées comme permettant que la déchéance du droit de rétrocession soit opposée à l’ancien propriétaire ou à ses ayants droit lorsque le non-respect du délai qu’elles prévoient ne leur est pas imputable.
10. Il résulte de ce qui précède que, sous cette réserve, les dispositions contestées ne privent pas de garanties légales les exigences constitutionnelles résultant de l’article 17 de la Déclaration de 1789. Le grief tiré de la méconnaissance de ces exigences doit donc être écarté. »
Il sera relevé que cette conformité aux exigences constitutionnelles est assortie d’une réserve d’interprétation (considérant n° 9) permettant d’écarter la sanction tirée de la déchéance du droit de rétrocession si le non-respect du délai d’un mois n’est pas imputable à son bénéficiaire (c’est-à-dire, les anciens propriétaires d’un bien exproprié n’ayant pas reçu dans un délai de cinq ans la destination prévue ou a cessé de la recevoir).
Cette réserve d’interprétation concerne ainsi les cas évoqués dans l’arrêt de la Cour de cassation, à savoir :
- le comportement de l’autorité expropriante ;
- le délai d’établissement d’un acte authentique ;
- le délai de souscription à un prêt bancaire.
Il reviendra ainsi aux juges du fond et, le cas échéant, à la Cour de cassation d’appliquer cette réserve d’interprétation dans ces cas voire d’autres où le non-respect du délai d’un mois ne sera pas imputable au bénéficiaire du droit de rétrocession.
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