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Par un avis du 16 novembre 2023 qui fera l’objet d’une publication au Bulletin (n° 23-70.011), la Cour de cassation rappelle que le relogement d’un exproprié constitue une réparation en nature qui doit être pris en compte sur le montant de l’indemnité de dépossession, en précisant ainsi que peut être appliqué un abattement pour relogement « au regard de l’avantage procuré à l’exproprié et non du coût de ce relogement par l’expropriant ».

Plus précisément, le juge de l’expropriation du Tribunal judiciaire de Bobigny, après avoir rappelé que l’article R. 423-9 du code de l’expropriation imposait de tenir compte du relogement d’un exproprié lors de la fixation de l’indemnité, demandait l’avis de la Cour de cassation sur les questions suivantes :

« 1- Lors de l’évaluation des indemnités de dépossession du propriétaire-occupant exproprié ayant accepté une offre de relogement émanant de l’expropriant :

1.1 – La prise en compte du relogement peut-elle s’analyser en une moins-value affectant la valeur vénale libre des biens expropriés, déterminée selon la valeur du marché de référence ?

1.2 – La prise en compte du relogement peut-elle être un pourcentage fixe de la valeur vénale libre des biens expropriés, faisant du quantum de la prise en compte du relogement une fonction croissante de la valeur de marché des biens expropriés ?

1.3 – La situation juridique d’un propriétaire-occupant ayant accepté une offre de relogement émanant de l’expropriant peut-elle être assimilée à celle d’un propriétaire-bailleur dont le bien est occupé par un tiers titré, pour l’évaluation des indemnités d’expropriation ?

1.4 – La transposition opérée par l’entité expropriante :

– de l’abattement communément appliqué à la valeur libre des biens expropriés d’un propriétaire-bailleur, pour tenir compte de la moins-value générée sur le marché immobilier par une occupation titrée (contrainte de la relation bailleur-preneur, indisponibilité du bien),

– à la situation d’un propriétaire-occupant ayant accepté une offre de logement émanant de l’expropriant, pour tenir compte de ce relogement :

1.4.1 – ne conduit-elle pas à inverser la logique indemnitaire, en faisant de la situation de l’expropriant ayant l’obligation de reloger le locataire du propriétaire-bailleur et le propriétaire-occupant ayant accepté une offre de relogement, la cause de l’application au second de l’abattement « dit pour occupation », usuellement appliqué au premier ?

1.4.2 – la fixation des indemnités de dépossession ne doit-elle pas être guidée par le préjudice subi par le propriétaire ? et par sa réparation intégrale ?

1.5 – L’indemnité principale d’un propriétaire-occupant relogé par l’expropriant, correspondant à la valeur vénale des biens expropriés doit-elle être évaluée en valeur libre, comme sur le marché immobilier et comme en matière de préemption, ou en valeur occupée par un tiers titré, comme en matière de propriétaire-bailleur ?

2 – La prise en compte par le juge de l’expropriation, évoquée à l’article R. 423-9 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, du relogement du propriétaire-occupant par l’expropriant après acceptation par l’exproprié de l’une des offres émanant de l’expropriant :

2.1 – donne-t-elle naissance à une créance de l’expropriant contre l’exproprié, créance correspondant à l’avantage qu’un relogement par l’expropriant procure à l’exproprié, selon une similitude avec le marché immobilier sur lequel le propriétaire-vendeur obtient une valeur vénale libre des biens qu’il occupait et doit prendre à sa charge son relogement ?

2.2 – constitue-t-elle une créance distincte de celle dont dispose l’exproprié contre l’expropriant du fait du transfert de sa propriété par les effets de l’ordonnance d’expropriation ?

2.3 – peut-elle donner lieu à une compensation intervenant lors de la fixation des indemnités entre, d’une part, l’indemnité principale correspondant à l’entière valeur vénale libre des biens et les indemnités accessoires le cas échéant et, d’autre part, l’évaluation de la prestation de relogement délivrée par l’expropriant ? « 

A ces nombreuses questions détaillées, la Cour de cassation y répond en quatre points en émettant l’avis suivant :

1. Le propriétaire-occupant, qui accepte d’être relogé, bénéficie d’une réparation en nature d’une partie du préjudice résultant de l’expropriation, devant être prise en compte lors de la fixation des indemnités, en application de l’article R. 423-9 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.

2. Le relogement du propriétaire-occupant ne constitue pas une moins-value affectant la valeur vénale du bien exproprié et sa situation n’est pas assimilable à celle du propriétaire dont le bien est occupé par un locataire.

3. La prise en compte du relogement lors de la fixation des indemnités, déterminée au regard de l’avantage procuré à l’exproprié et non du coût de ce relogement pour l’expropriant, ne donne pas naissance à une créance de l’expropriant sur l’exproprié.

4. Les modalités de prise en compte de ce relogement lors de la fixation des indemnités relèvent du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond.

Quelle est la portée de cet avis rendu par la Cour de cassation ?

Tout d’abord, il est rappelé une jurisprudence constante selon laquelle la mise en œuvre du droit au relogement constitue une modalité légale de réparation en nature impactant la réparation en espèces (3e Civ., 21 février 1991, n° 89-70.302 ; point 4 sur l’obligation de relogement)

Ensuite, la Cour de cassation précise – à juste titre – que l’occupation d’un bien exproprié par son propriétaire ne constitue pas une moins-value affectant sa valeur vénale.

En effet, sur le marché libre, un bien occupé par son propriétaire ne subit aucune décote du fait de cette occupation et l’avis commenté le rappelle en ces termes : « le relogement du propriétaire-occupant ne constitue pas une moins-value affectant la valeur vénale du bien exproprié, dans la mesure où, sur le marché libre, le bien occupé par son propriétaire ne subit pas de moins-value en raison de cette occupation, dès lors qu’il sera libéré à l’occasion du transfert de propriété « .

Au contraire, il est fréquent qu’un bien occupé par un locataire – impliquant indisponibilité du bien, frais d’éviction, etc. – a une valeur moindre qu’un bien libre de toute occupation (sous réserve que les mutations de référence soumis au débat contradictoire le confirment, l’abattement pour occupation n’étant pas automatique : voir avant dernier §)

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les juges de cassation considèrent que les termes « abattement pour occupation » sont impropres à caractériser cette situation, préférant les termes « abattement pour relogement » qui paraissent plus pertinents dans le cas d’un propriétaire occupant.

Si la Cour de cassation rappelle que le quantum de cet abattement – qui peut être fixe ou en pourcentage – relève de l’appréciation souveraine des juges du fond (comme cela est également constant en jurisprudence), il ne pourra être appliqué « en fonction du coût de ce relogement pour l’expropriant », mais au regard de l’avantage procuré à l’exproprié.

Au regard de la motivation de l’avis, cet avantage pour l’exproprié peut résulter pour lui d’éviter l’aléa d’une recherche, lui permettre de jouir d’un bien décent, en bon état général, adapté à ses besoins personnels et familiaux, à proximité du domicile exproprié et respectant les normes relatives aux habitations à loyer modéré.

On peut ainsi comprendre que si l’abattement pour relogement se justifiera dès lors qu’est mis en œuvre le relogement (constituant une réparation partielle en nature, selon l’article R. 423-9 du code de l’expropriation et la jurisprudence de la Cour de cassation), son quantum variera selon les circonstances dans lesquelles s’inscrira l’opération d’expropriation.

Par exemple, le relogement d’un propriétaire occupant d’un bien situé dans un bâtiment très dégradé lui procurera plus d’avantages qu’un propriétaire occupant d’un bien situé dans un bâtiment entretenu et bon état.

En tout état de cause, il appartiendra tant à l’expropriant qu’à l’exproprié de débattre sur ces avantages pour aider le juge de l’expropriation à déterminer le quantum lui apparaissant le plus juste.