Lors du conseil des ministres du 12 décembre dernier, le projet de loi relatif à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement a été présenté. Son inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée Nationale est prévue pour la semaine du 22 janvier 2024. Parallèlement, le gouvernement a décidé de rendre public l’avis du Conseil d’Etat sur ce projet, ce qui permet d’en découvrir les contours.
Ce projet de loi était attendu des acteurs du secteur et ce d’autant plus qu’un plan contre l’habitat dégradé est considéré comme prioritaire par les pouvoirs publics ; rappelons qu’un million de personnes en France sont concernées par ce plan et que 400 000 à 420 000 logements du parc privé sont estimés comme insalubres
Dans ce contexte, lors de sa visite à Marseille en juin dernier, le Président de la République avait annoncé l’étude d’un projet de loi pour faciliter le traitement des copropriétés dégradées, notamment par la voie de l’expropriation.
Le 23 octobre 2023, Michèle Lutz, maire de Mulhouse, et Mathieu Hanotin, maire de Saint-Denis et président de l’EPT Plaine-Commune, avaient adressé au ministre délégué au logement 24 propositions pour accélérer la résorption de l’habitat insalubre, sur lesquelles s’est appuyé le projet de loi.
Ce projet de loi – présenté en conseil des ministres – a ainsi pour objectifs :
– D’accélérer les procédures de requalification et de transformation des copropriétés dégradées ;
– De faciliter les interventions destinées à éviter une dégradation définitive d’immeubles, notamment d’habitation.
Pour les atteindre, l’avis rendu par le Conseil d’Etat nous apprend qu’il est notamment envisagé :
- La création nouvelle procédure d’expropriation
- La création d’une procédure de scission forcée ou de création d’un ou plusieurs syndicats secondaires à l’initiative de l’opérateur chargé de la mise en œuvre d’une ORCoD ou d’une ORCoD-IN
- La redéfinition des critères permettant de caractériser l’état irrémédiable de l’insalubrité ou de l’insécurité d’un bâtiment
- diverses mesures intéressant l’aménagement et le droit de l’expropriation
1. La création d’une nouvelle procédure d’expropriation
Tout d’abord, le projet de loi envisage la création d’une nouvelle procédure d’expropriation, ce qui constituerait une troisième procédure aux côtés de la procédure dite de carence prévue par les articles L. 615-1 et suivants du code de la construction et de l’habitation ainsi que la procédure dite « loi Vivien » relevant de l’article L. 511-1 à L. 511-9 du code de l’expropriation.
Cette nouvelle procédure figurait également dans les 24 propositions formulées par Michèle Lutz, maire de Mulhouse, et Mathieu Hanotin, maire de Saint-Denis et président de l’EPT Plaine-Commune.
L’objectif de cette nouvelle procédure est d’assurer de façon pérenne la sécurité et la santé des occupants et de réduire la charge financière des collectivités, en leur évitant l’exécution d’office de mesures ponctuelles, souvent moins efficaces et plus coûteuses.
Concrètement, l’avis du Conseil d’Etat nous renseigne sur cette nouvelle procédure d’expropriation qui suivrait la même logique que celle prévue par la « loi Vivien » tout en l’adaptant, avec une prise de possession anticipée moyennant le paiement ou, en cas d’obstacles, la consignation d’une indemnité provisionnelle.
Le projet de loi – soumis au Conseil d’Etat – prévoyait de subordonner l’expropriation au constat de l’inexécution des travaux prescrits par l’autorité publique.
Toutefois, le Conseil d’Etat a considéré que cette seule condition était insuffisante pour permettre de considérer cette procédure comme répondant à d’impérieux motifs d’intérêt général et pour garantir les droits des propriétaires, conditions nécessaires, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, pour justifier une prise de possession anticipée des propriétés (voir notamment décision n° 89-256 DC du 25 juillet 1989, considérant 20 ; décision n° 2010-26 QPC du 17 septembre 2010, point 7).
Aussi, le Conseil d’Etat propose de renforcer ces conditions et garanties en :
- conditionnant la démonstration d’une « carence persistante » du fait de l’inexécution de deux arrêtés de mise en sécurité au cours des dix dernières années ;
- Faisant établir par un rapport des services techniques ou un expert les travaux à réaliser pour prévenir la dégradation irrémédiable qui devra être avéré;
- Protégeant les occupants en prévoyant un projet de plan de relogement, qui, on le suppose, devra respecter les règles prévues par le code de l’urbanisme en la matière (voir l’obligation de relogement en expropriation).
Le Conseil d’Etat considère, par ailleurs, que dans la mesure où le calcul des indemnités sera faite selon la méthode par comparaison et que les indemnités définitives seront fixées par le juge judiciaire (juge de l’expropriation), le projet de loi respecte les exigences garanties à l’article 17 de la DDHC, étant relevé que, contrairement aux procédures dite « loi Vivien » ou de carence, aucune déduction n’est prévue.
2. La création d’une procédure de scission forcée ou de création d’un ou plusieurs syndicats secondaires à l’initiative de l’opération chargé de la mise en œuvre d’une ORCoD ou d’une ORCoD-IN
Cette procédure permettrait à un opérateur auquel a été confiée la mise en œuvre d’une opération de requalification des copropriétés dégradées (ORCoD) ou d’une opération de requalification des copropriétés dégradées déclarée d’intérêt national (ORCoD-IN), lorsqu’il est confronté à une copropriété présentant de graves difficultés d’entretien ou d’administration de nature à en compromettre la gestion et le fonctionnement, de saisir le juge judiciaire afin que ce dernier ordonne, au terme d’une expertise, soit la division du syndicat des copropriétaires, soit la création d’un ou plusieurs syndicats secondaires, afin de déconcentrer la prise de décision au niveau de gestion le plus pertinent et, le cas échéant, isoler les immeubles les plus en difficulté de ceux susceptibles de faire l’objet de mesures de redressement.
Dans ce dernier cas, il est souvent observé, en pratique, que les immeubles de taille importante, impliquant des charges de copropriété et d’entretien très élevés, apparaissent difficilement redressables, à l’inverse d’immeubles de taille plus raisonnable, ces immeubles pouvant être compris au sein de la même copropriété (exemple du Chêne Pointu à Clichy-sous-Bois).
Au sujet de cette mesure, le Conseil d’Etat relève que, tant dans l’hypothèse de la création d’un syndicat secondaire que dans celle de la scission d’une copropriété avec partage égal des parties communes, la mise en œuvre de la procédure créée par le projet de loi porte atteinte aux droits des copropriétaires, sans pour autant les priver de ces droits.
Toutefois, il observe que :
- cette atteinte est justifiée par de sérieux motifs d’intérêt général, tirés de la nécessité de remédier à de graves difficultés d’entretien ou d’administration de l’immeuble concerné de nature à compromettre sa gestion et son fonctionnement.
- la procédure prévue est entièrement placée sous le contrôle du juge judiciaire et,
- les modalités de l’opération sont fixées par un expert indépendant de l’opérateur.
Dans ces conditions, les atteintes portées au droit de propriété lui paraissent justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi et ne méconnaissent ni l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (voir, notamment, Conseil constitutionnel, décision n° 2011-208 QPC du 13 janvier 2012, considérant 4 ; décision n° 89-256 DC du 25 juillet 1989, considérant 23), ni l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Enfin, il est également relevé que, dans l’hypothèse d’une scission de copropriété avec partage inégal des parties, les copropriétaires concernés sont privés d’une partie des droits de propriété qu’ils détiennent sur ces parties communes.
Ici encore, le Conseil d’Etat considère cette atteinte conforme aux exigences de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dès lors qu’une indemnisation de copropriétaires concernés dans les conditions prévues par le code de l’expropriation pour cause d’utilité publique est prévue, à savoir une nécessité publique légalement constatée ainsi qu’une juste et préalable indemnité.
3. La redéfinition des critères permettant de caractériser l’état irrémédiable de l’insalubrité ou de l’insécurité d’un bâtiment
En l’état actuel du droit, l’article L. 511-11 du code de la construction et de l’habitation prévoit que l’autorité de police compétente ne peut prescrire la démolition ou l’interdiction définitive d’habiter un immeuble ou une partie d’immeuble insalubre ou menaçant ruine à une des conditions alternatives suivantes :
- s’il n’existe aucun moyen technique de remédier à l’insalubrité ou à l’insécurité de l’immeuble ou,
- lorsque les travaux nécessaires à cette résorption seraient plus coûteux que la reconstruction
Afin d’éviter que la prise en compte des coûts de démolition ne fasse obstacle, de manière injustifiée, à la prise d’arrêtés ordonnant la démolition d’un immeuble ou l’interdiction définitive de l’habiter, il est proposé de remplacer la deuxième condition alternative par celle de « mesures et travaux nécessaires à un usage conforme à la destination de l’immeuble ou de l’installation, y compris au respect des normes de décence en vigueur lorsque l’arrêté porte sur un logement ».
Toutefois, le Conseil d’Etat considère cette formulation trop imprécise en ce que :
- D’une part, les termes généraux employés par le projet ne permettent pas d’identifier clairement les mesures et travaux susceptibles d’être imposés au propriétaire.
- D’autre part, la réglementation relative aux caractéristiques d’un logement « décent » est, en l’état du droit, opposable aux seuls propriétaires de biens donnés à bail, mais non aux propriétaires occupants.
Il est donc suggéré de retenir la formulation suivante : « si les mesures et travaux nécessaires à une remise en état du bien aux normes de salubrité et de sécurité en vigueur seraient plus coûteux que sa reconstruction ».
4. Les diverses mesures intéressant le droit de l’aménagement et le droit de l’expropriation
Enfin, si le Conseil d’Etat ne formule aucune observation particulière sur les autres mesures prévues par le projet de loi, certaines concernent le droit de l’aménagement et le droit de l’expropriation comme :
– élargir les possibilités de mettre en œuvre les opérations de restauration immobilière prévues par les articles L. 313-4 et suivants du code de l’urbanisme ;
– permettre le recours à la concession d’aménagement définie par les articles L.300-4 et L. 300-5 du code de l’urbanisme pour réaliser des opérations de traitement de copropriétés dégradées s’inscrivant dans les dispositifs précis et de déléguer au concessionnaire le droit de préemption urbain prévu par l’article L. 211-1 du même code ;
– d’étendre la procédure de prise de possession anticipée en matière d’expropriation à l’ensemble des opérations de requalification des copropriétés dégradées ;
– d’étendre la procédure d’expropriation des articles L. 511-1 et suivants du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique aux locaux commerciaux frappés par une interdiction définitive d’utiliser ;
– de faire bénéficier les opérations d’intérêt national (OIN) de dispositifs facilitant leur réalisation, à savoir la participation du public par voie électronique prévue par l’article L. 123-19 du code de l’environnement, la procédure intégrée de mise en compatibilité des documents d’urbanisme prévue par l’article L. 300-6-1 du code de l’urbanisme et la procédure de prise de possession immédiate d’immeubles expropriés prévue par les articles L. 522-1 à L. 522-4 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique ;